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La réduction de capital social en danger ?

Publié le 12/Mar/2025 par Me Fabien DREY

La réduction de capital social en danger ?
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Depuis le 1er janvier 2015, le rachat de ses propres titres par une société bénéficie intégralement d’une imposition sous le régime des plus-values mobilières.

Sous certaines conditions, ce régime permet de limiter de manière l’imposition liée à l’appréhension de la trésorerie excédentaire d’une entreprise.

Pour plus de détails concernant les avantages et les limites de ce type d’opération, le lecteur sera invité à consulter notre article dédié (lien).

En synthèse, il est rappelé qu’une telle opération peut permettre de bénéficier d’une imposition totale d’environ 22%, à comparer par exemple au 30% de l’imposition forfaitaire unique (flat tax).

La réduction de capital est donc une méthode très largement mobilisée lorsqu’il s’agit de procéder à un cash out.

Pour autant, l’Administration fiscale veille et requalifie de plus en plus souvent ces opérations sur le terrain de l’abus de droit.

À cet égard, il nous est apparu opportun d’analyser plusieurs décisions récentes et contradictoires, venant à nouveau troubler la sécurité juridique de ce type d’opérations.

L’application du régime des plus-values mobilières en cas de réduction de capital social

Depuis le 1er janvier 2015, la loi a généralisé l’application d’un régime des plus-values à l’ensemble des sommes versées aux associés ou actionnaires au titre du rachat de leurs actions.

Ce régime avait ainsi été généralisé à la suite de la censure, par le Conseil constitutionnel, de l’ancienne version de l’article 112 du CGI qui restreignait l’application de ce régime à certaines situations spécifiques.

Au 1er janvier 2015, l’article 112 du Code général des impôts avait donc été mis à jour afin notamment de prévoir que ne sont pas considérés comme des revenus distribués :

« 1° Les répartitions présentant pour les associés ou actionnaires le caractère de remboursements d’apports ou de primes d’émission. Toutefois, une répartition n’est réputée présenter ce caractère que si tous les bénéfices et les réserves autres que la réserve légale ont été auparavant répartis.

Sous réserve des dispositions du 3°, ne sont pas considérés comme des apports pour l’application de la présente disposition :

a. Les réserves incorporées au capital ;

b. Les sommes incorporées au capital ou aux réserves (primes de fusion ou de scission) à l’occasion d’une fusion ou d’une scission de sociétés ou d’un apport partiel d’actif donnant lieu à l’attribution de titres aux associés dans les conditions prévues au 2 de l’article 115.

[…]

Les sommes ou valeurs attribuées aux associés ou actionnaires au titre du rachat de leurs parts ou actions. Le régime des plus-values prévu, selon les cas, aux articles 39 duodecies, 150-0 A ou 150 UB est alors applicable. »

Ainsi, pour appréhender tout ou partie des actifs de la société, l’associé dispose d’un choix entre :

  • L’octroi d’une rémunération dans l’hypothèse où ce dernier est dirigeant de la société en question ;
  • Le versement d’un dividende ;
  • La réduction de capital social non motivée par des pertes.

Bien évidemment, l’option de la réduction de capital social reste bien souvent la plus attractive fiscalement.

De ce fait, cette solution a été retenue par nombre de contribuables au cours des dernières années.

En effet, la possibilité d’opter pour le régime fiscal le plus favorable reste un droit constitutionnellement reconnu.

Malgré ces dispositions, l’Administration fiscale a tenté à plusieurs reprises de remettre en question l’application du régime des plus-values mobilières aux opérations de réduction de capital non motivées par des pertes, tantôt en qualifiant les sommes perçues de « revenus distribués », tantôt sur le terrain de l’abus de droit.

L’année 2024 a ainsi été émaillée de plusieurs jurisprudences contradictoires, causant tout à la fois espoirs et doutes dans l’esprit des contribuables et de leurs conseils.

À cet égard, il ne sera fait état dans cet article que des décisions défavorables aux contribuables.

La décision du Tribunal administratif de Montpellier du 12 février 2024

Dans cette espèce, un contribuable avait décidé de procéder à une réduction de capital social d’une société dont il était l’unique associé.

Le contribuable avait ainsi perçu 200.000 € au titre de cette opération, cette somme ayant été inscrite au crédit de son compte courant d’associé. Il est à noter qu’antérieurement à cette opération, le compte courant de l’associé en question était très largement débiteur, ce qui a pu en l’espèce orienter les juges au moment de trancher.

Le contribuable a naturellement soumis la plus-value générée (soit 180.000€) à l’impôt, sous le régime des plus-values mobilières. Ce dernier a donc pu bénéficier d’un abattement renforcé de 85% au titre de son imposition à l’impôt sur le revenu.

C’est dans ce contexte que l’Administration fiscale a remis en question cette opération sur le terrain de l’abus de droit (article L64 du Livre des procédures fiscales) en :

  • qualifiant les sommes obtenues de « revenus distribués », au sens de l’article 109 du CGI, faisant ainsi perdre au contribuable le bénéfice de l’abattement de 85% ;
  • majorant les droits dus d’une majoration pour abus de droit de 80%.

L’Administration soutenait ainsi que l’opération de rachat des titres présentait un caractère artificiel sans intérêt économique pour la société, uniquement motivée par le bénéfice d’un régime fiscal plus favorable, en contrariété avec les intentions du législateur d’appliquer le régime des plus-values aux seules opérations qui en ont, pour le cédant, toutes les caractéristiques.

L’Administration rappelait en outre que cette opération n’était pas motivée par le retrait d’un associé, ni par l’amélioration de la structure de financement, ni par la réduction des risques vis-à-vis des créanciers de la société, ni par la fidélisation des associés.

En outre, l’Administration invoquait le fait que cette réduction de capital s’était traduite par un appauvrissement de la société, sans aucune «contrepartie ».

De son côté, le contribuable affirmait que l’opération de rachat de titres, ponctuelle et ne contrevenant à aucune disposition législative, visait notamment à réduire le capital social augmenté sur les cinq dernières années, afin d’être en conformité avec la réalité de l’entreprise dont l’activité avait diminué, et visait par conséquent la réduction des réserves excédentaires ainsi que l’exposition aux risques sociaux de l’associé unique.

Il est à noter dans cette affaire que le comité de l’abus de droit fiscal avait en l’espèce donné raison au contribuable, en rappelant comme à son habitude que le contribuable avait bien le choix entre le régime fiscal le plus adapté à sa situation.

Le 12 février 2024, le Tribunal administratif de Montpellier a décidé de donner raison à l’Administration fiscale (Tribunal administratif de Montpellier, 2ème chambre, 12 février 2024, n° 2201983).

À cet égard, la Juridiction a estimé que l’opération en question avait une « motivation fiscale exclusive », en permettant au contribuable d’appréhender la trésorerie de sa société tout en mobilisant le bénéfice de l’abattement de 85%.

Cette décision n’a pas manqué d’interpeler et il conviendra sur ce point d’attendre un éventuel arrêt de la Cour administrative d’appel, confirmant ou non la position des juges de première instance.

En tout état de cause, la voie de la réduction de capital effectuée au profit d’un associé unique, sans motivations externes comme l’intégration ou le retrait d’un associé notamment, apparaît fortement réduite.

La position bordelaise, une interprétation isolée des dispositions de l’article 112 du CGI ?

Une nouvelle décision, cette fois-ci rendue par la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA de BORDEAUX, 5ème chambre, 16 avril 2024, 22BX01822), est venue apporter une nouvelle lecture des textes, permettant là encore de remettre en question les opérations de réduction de capital.

 En l’état, une société avait procédé à une réduction de capital non motivée par des pertes, au profit de 5 associés sortants.

Dans ce contexte, la société a imputé le prix total de rachat de 912 888 euros, sur :

  • le capital social initial de 7 622,45 euros, qui a été réduit à concurrence de la valeur nominale globale des parts achetées, soit de 2 408,69 euros, et pour le surplus,
  • sur un compte de réserves distribuables, intitulé « autres réserves ».

La société ainsi que les associés concernés ont là encore fait application des dispositions de l’article 122-6° du Code général des impôts, afin de bénéficier du régime favorable des plus-values sur cessions de valeurs mobilières.

La société n’a donc procédé à aucune retenue à la source.

Toutefois, à l’issue d’une vérification, l’Administration fiscale a considéré que les sommes perçues devaient être qualifiées de revenus distribués, sur le fondement de l’article 109 du Code général des impôts.

Dans ce contexte, c’est la société elle-même qui a formé opposition à cette proposition, concernant l’application de la retenue de 21% sur les revenus distribués.

À cet égard, le Tribunal administratif de la Martinique avait décidé de donner raison à l’Administration fiscale et c’est dans ce contexte que la Cour bordelaise avait à se prononcer.

En l’espèce, l’Administration fiscale n’avait pas fait reposer son interprétation sur la procédure d’abus de droit, mais sur une interprétation spécifique des dispositions combinées de l’article 109 du CGI et des paragraphes 1° et 6° de l’article 112 du CGI.

Dans ce contexte, l’Administration indiquait que :

  • l’unique objectif de cette opération était de réduire le capital social de la société, par réduction de son nombre de titres ;
  • cette opération n’était pas motivée par des pertes, ce qui a eu pour conséquence de permettre aux associés concernés de bénéficier de sommes appartenant à la société ;
  • les réserves de la société n’avaient pas été « auparavant réparties ».

A cet égard, il était ici fait référence aux dispositions au paragraphe 1° de l’article 112 du CGI, disposant que ne sont pas traités comme des revenus distribués :

« 1° Les répartitions présentant pour les associés ou actionnaires le caractère de remboursements d’apports ou de primes d’émission. Toutefois, une répartition n’est réputée présenter ce caractère que si tous les bénéfices et les réserves autres que la réserve légale ont été auparavant répartis.

Sous réserve des dispositions du 3°, ne sont pas considérés comme des apports pour l’application de la présente disposition :

a. Les réserves incorporées au capital ;

b. Les sommes incorporées au capital ou aux réserves (primes de fusion ou de scission) à l’occasion d’une fusion ou d’une scission de sociétés ou d’un apport partiel d’actif donnant lieu à l’attribution de titres aux associés dans les conditions prévues au 2 de l’article 115.« 

Dans ce contexte, il est rappelé qu’avant le 1er janvier 2015, l’alinéa 1 de l’article précité contenait en complément la phrase suivante :

« les dispositions prévues à la deuxième phrase ne s’appliquent pas lorsque la répartition est effectuée au titre du rachat par la société émettrice de ses propres titres »

Or, ces précisions surabondantes avaient été supprimées à l’occasion de la réforme, les dispositions spéciales de l’alinéa 6 permettant d’encadrer l’hypothèse du rachat de titres.

Or, tel n’a pas été l’interprétation retenue en l’espèce.

En effet, le rapporteur public a affirmé dans son rapport, que :

« En l’espèce, il n’est pas contesté que la réduction de capital social n’était pas motivée par des pertes et a été accompagnée d’une distribution des réserves, autres que légales, disponibles et vous ne pourrez que donner raison à l’Administration compte tenu des dispositions du 1° de l’article 112 du Code général des impôts (CE, 31 juill. 2009, n° 296052, Sté FITECO). »

Cette interprétation ambitieuse a été retenue par la Cour administrative d’appel.

À cet égard, la Cour a procédé à une lecture particulière des dispositions du Code général des impôts, en faisant prévaloir une règle générale (l’alinéa 1° de l’article) sur une règle spéciale (l’alinéa 6°).

En l’espèce, et par une interprétation nous apparaissant contestable, la Cour administrative d’appel de Bordeaux semble indiquer qu’en l’absence de distribution de l’ensemble des bénéfices et des réserves préalablement à l’opération, il serait impossible de mobiliser les dispositions de l’article 112-6° du CGI.

Or, l’article 112-1° du CGI est applicable aux « répartitions », ce que n’est pas à notre sens une réduction de capital social.

En outre, l’article 112-6° du CGI vise expressément l’hypothèse de la réduction de capital, sans faire mention de la distribution préalable des résultats et/ou des réserves.

Le Conseil d’Etat étant saisi, ce sera dorénavant à ce dernier de clarifier la situation concernant l’articulation des paragraphes 1° et 6° de l’article 112 du Code général des impôts.

Deux décisions divergentes pour l’interprétation d’une même situation dans le cadre d’une réduction de capital social

Puisque l’année ne pouvait se terminer sans de nouveaux rebondissements, deux nouvelles décisions sont à noter.

En l’espèce, l’intérêt de ces décisions est de démontrer l’interprétation divergente des Tribunaux, malgré la présence de faits strictement identiques.

Dans cette espèce, une société avait procédé à une réduction de capital non motivée par des pertes au profit de ses deux associés, pour un montant de 1.900.000 €.

Le capital social avait ainsi été réduit de 100 parts sociales, à 2 parts sociales uniquement.

Les deux associés motivaient notamment cette opération par leur volonté de réduire la capitalisation de la société, cette dernière n’étant plus justifiée au regard de la vente du principal actif de la société et à ses futurs projets.

Les deux associés avaient bénéficié du régime des plus-values mobilières et avait pu mobiliser l’abattement renforcé de 85%.

L’Administration a toutefois contesté cette décision sur le fondement de l’abus de droit, en estimant que cette réduction de capital était exclusivement motivée par un intérêt fiscal.

Les associés concernés ont saisi le Comité de l’Abus de Droit Fiscal. Le CADF avait dans ce cadre entendu l’argumentaire des contribuables et estimé qu’il y avait en l’espèce une justification à la mise en œuvre d’une telle opération.

L’Administration a cependant décidé de soumettre ces espèces à l’appréciation des Tribunaux administratifs de Bordeaux pour un associé, et de Montreuil pour l’autre associé.

Le Tribunal administratif de Bordeaux fut le premier à donner son interprétation de cette situation (TA Bordeaux, 3e ch., 17 oct. 2024, n° 2205287). En synthèse, les Magistrats bordelais ont estimé que cette opération était constitutive d’un « montage artificiel » ayant une « motivation fiscale exclusive ».

Trois semaines plus tard, le Tribunal administratif de Montreuil délivrait une interprétation radicalement opposée (TA Montreuil, 10e ch., 7 nov. 2024, n° 2215137).

Les magistrats montreuillois se sont ainsi livrés à une analyse plus poussée de la situation économique de la société, en rappelant que :

« l’instruction qu’à la suite de la cession de son site internet de rencontres à une société concurrente, comprenant le fonds de commerce et des éléments d’activité immobilisés, la société Itema n’a conservé qu’une activité résiduelle de marketing et de régie sur Internet. Si l’administration fait valoir que la société Itema n’a jamais exercé d’activité avec des fonds propres surévalués, elle ne conteste pas sérieusement qu’à la suite de cette cession et de la perte de son activité principale, la société Itema disposait de capitaux propres hors de proportion avec le périmètre commercial de son activité subsistante et que l’opération de rachat par la société de ses propres titres a eu pour effet de diminuer les capitaux propres, lesquels sont évalués à 115 383 euros après l’opération litigieuse et constituent un montant suffisant pour la poursuite de ces activités.

[…]

En dépit de la concomitance des opérations […] et de l’absence de modification du nombre d’associés et de la répartition de capital entre les associés et alors même que l’opération de réduction de capital a porté sur un faible montant, l’opération litigieuse ne constitue pas un montage artificiel dépourvu de toute substance économique et poursuivant un but exclusivement fiscal. »

Alors que la décision bordelaise se fonde principalement sur la volonté supposée des associés de bénéficier d’un régime fiscal favorable, la décision rendue par le Tribunal administratif de Montreuil repose sur l’appréciation de la situation économique de la société avant et après l’opération.

Les réductions de capital social en danger ?

En l’état, plusieurs visions semblent aujourd’hui s’opposer et l’Administration fiscale possède plusieurs voies (abus de droit, interprétation de l’article 112-1° du CGI) afin de contester l’application du régime fiscal favorable relatif à la réalisation d’opérations de réduction de capital social.

Il conviendra toutefois de rappeler que ces décisions restent spécifiques à des situations où la réduction de capital n’était pas motivée spécifiquement par le retrait d’un associé ou par l’intégration d’un nouvel associé.

Dans ce contexte, il sera nécessaire d’être vigilant au cours des prochains mois et de continuer à faire reposer les réductions de capital sur des motivations particulières et documentées.

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