Dividendes versés à une SPFPL et cotisations sociales, la Cour de cassation sème le trouble

Par un arrêt particulièrement remarqué en date du 19 octobre 2023 (Cass. 2e civ., 19 oct. 2023, n° 21-20.366), la 2e Chambre Civile de la Cour de cassation est venue soumettre aux cotisations sociales les dividendes versés au profit d’une société holding SPFPL.
En pratique, cet arrêt pose de nombreuses difficultés et viendrait mettre un coup d’arrêt particulièrement brusque aux opérations de restructurations opérées par les professionnels libéraux, au titre des montages reposant sur un LBO (leverage buy out).
Cette solution s’oppose donc frontalement à la volonté du législateur qui, depuis 2016 notamment, a tenté de promouvoir le développement des modes d’exercices libéraux en levant un certain nombre de barrières et en encourageant les structures interprofessionnelles d’exercice.
À cet égard, la société holding des professionnels libéraux (la SPFPL) constitue bien souvent la pierre angulaire des opérations de structuration.
Cette jurisprudence audacieuse génère donc une insécurité sur l’ensemble des professionnels libéraux, et plus largement sur le sort des dividendes versés par une société au profit d’une autre société.
En effet, les conséquences de cet arrêt ne semblent pas se limiter aux professionnels libéraux, mais à l’ensemble des travailleurs non-salariés.
Dans ce contexte, il nous est apparu nécessaire d’analyser les motivations de cette décision, ainsi que son impact pratique sur les opérations en cours et à venir.
Le principe : les dividendes versés à une société holding ne sont pas soumis aux cotisations sociales et aux prélèvements sociaux
Au regard de la décision commentée, il sera utilement rappelé que les dividendes versés par une société au profit d’une autre société soumise à l’impôt sur les sociétés ne sont pas soumis aux cotisations sociales et aux prélèvements sociaux.
En effet, s’agissant des cotisations sociales, l’article L. 131-6, III du Code de la Sécurité sociale (dans sa rédaction en vigueur préalablement à la réforme opérée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024) indiquait que seuls les revenus et intérêts perçus par un travailleur non-salarié et un membre de son groupe familial étaient à intégrer dans l’assiette des cotisations sociales.
Le même principe s’applique en ce qui concerne les prélèvements sociaux (CSG et CRDS).
En pratique, les dividendes versés au profit d’une société holding ne sont donc pas soumis aux prélèvements sociaux et aux cotisations sociales, car lesdits dividendes ne sont pas perçus directement par un travailleur non-salarié, mais par une société n’ayant pas cette qualité.
En conséquence, les dividendes perçus par une société holding échappent donc en pratique aux cotisations sociales (environ 30% à 40% de cotisations) et aux prélèvements sociaux (17,2%).
D’un point de vue fiscal, les dividendes versés au profit d’une société holding sont normalement soumis à l’impôt sur les sociétés, sauf mise en œuvre d’un régime d’exonération (régime mère-fille ou régime d’intégration fiscale) permettant d’exonérer la quasi-totalité des dividendes perçus.
En pratique, la très grande majorité des dividendes versés à des sociétés holdings bénéficie d’un régime d’exonération.
Pour de plus amples explications à ce sujet, nous vous invitons à consulter notre article relatif à la fiscalité des dividendes intragroupe.
Ces principes sont clairement établis et reposent sur des bases solides, permettant à la très grande majorité des opérations de bénéficier d’un cadre fiscal et social cohérent.
Ainsi, seuls les dividendes perçus par une personne physique sont soumis aux cotisations sociales et aux prélèvements sociaux.
Or, par la décision commentée, la Cour de cassation vient semer le trouble en décidant de soumettre aux cotisations sociales les dividendes versés au profit d’une SPFPL.
Une exception selon la Cour de cassation : les dividendes versés par des sociétés d’exercice libéral au profit de SPFPL
Faisant fi des principes précités, les Hauts Magistrats ont pris le parti d’inventer une nouvelle forme de versement de dividende, en se livrant à une lecture opportuniste des dispositions de l’article L131-6 du Code de la sécurité sociale.
Nous reviendrons donc brièvement sur le contexte particulier ayant amené à cette prise de position, pour analyser ensuite l’argumentaire utilisé par la Haute Juridiction.
Le contexte : un chirurgien-dentiste ayant constitué une société d’exercice libéral détenue en majorité par une SPFPL
Le cas d’espèce concernait un chirurgien-dentiste exerçant son activité par l’intermédiaire d’une SELARL.
Ce professionnel détenait directement 10 parts sociales sur les 1.000 composant le capital social de la SELARL.
990 parts sociales étaient détenues par une SPFPL, que ce professionnel avait constituée à parts égales avec son épouse.
Dans le cadre de l’activité, le praticien ainsi que la SPFPL bénéficiaient donc des dividendes versés par la SELARL.
Ce professionnel libéral était donc soumis aux cotisations sociales au titre des dividendes lui revenant personnellement, alors que les dividendes perçus par la SPFPL y échappaient.
Le schéma était donc particulièrement classique et n’avait rien d’innovant.
Or, de manière surprenante (et sûrement intéressée), la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes (CARCDSF) a considéré que le professionnel en question devait être personnellement soumis aux cotisations sociales sur les dividendes que la SELARL avait versés à la SPFPL.
À la suite de divers recours, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a étrangement confirmé la position prise par la CARCDSF.
Un pourvoi en cassation était donc naturellement formé à l’encontre de cet arrêt.
Par une décision en date du 19 octobre 2023, la 2e Chambre Civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, confirmant ainsi que les dividendes versés à une SPFPL devaient intégrer à l’assiette des cotisations sociales.
Les motivations de la Cour de cassation afin de soumettre les dividendes versés à une SPFPL aux cotisations sociales
En l’espèce, la Cour de cassation a fait reposer son argumentaire sur les dispositions de l’article L 131-6, III, 2° du Code de la Sécurité sociale (dans sa version en vigueur au jour de la décision).
À cet égard, les dispositions de cet article prévoyaient que l’assiette des cotisations sociales était notamment constituée de :
« La part des revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du même code perçus par le travailleur indépendant non agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs enfants mineurs non émancipés et des revenus mentionnés au 4° de l’article 124 du même code qui est supérieure à 10 % du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte courant détenus en toute propriété ou en usufruit par ces mêmes personnes. Un décret en Conseil d’Etat précise la nature des apports retenus pour la détermination du capital social au sens du présent 3° ainsi que les modalités de prise en compte des sommes versées en compte courant ; »
Les dispositions précitées n’envisagent pas l’hypothèse d’une distribution par interposition de personnes et, plus particulièrement, à une société détenue par le travailleur indépendant.
Se livrant à une lecture particulière de cet article, la Haute Juridiction a retenu qu’un associé exerçant au sein d’une société d’exercice libéral devait être assujetti aux cotisations sociales au titre des dividendes distribués par ladite société, y compris si ces dividendes sont en réalité perçus par une SPFPL.
Cette prise de position ne manque pas d’interroger, tant elle remet en cause les principes établis en matière de Droit de la sécurité sociale, mais aussi de fiscalité.
Analyse critique de la décision rendue par la Cour de cassation concernant la soumission des dividendes perçus par une SPFPL aux cotisations sociales
Afin de justifier sa prise de position, la Cour de cassation indique que :
« les bénéfices de la société d’exercice libéral, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient le capital de la société d’exercice libéral ».
Cette démonstration, bien que limpide, n’en est pas moins contestable à plusieurs titres.
Afin de bâtir ce raisonnement, les Hauts Magistrats ont pris soin de rappeler que « le chirurgien-dentiste est le seul associé professionnel en exercice au sein de la SELARL et le seul à générer des revenus permettant de constituer les dividendes distribués à la société de participations financières ».
L’interprétation aurait ainsi pu être différente en présence d’associés non-professionnels au capital de la SELARL.
Cependant, il ne nous semble pas que dans une telle situation, la décision rendue aurait été différente.
Les bénéfices générés par la société d’exercice sont assimilés à des revenus professionnels du travailleur indépendant
Première erreur à notre sens, la Cour de cassation indique que ce serait l’ensemble des bénéfices de la SEL qui constituerait le produit de l’activité professionnelle du travailleur indépendant.
La Cour de cassation semble faire une confusion entre les sociétés soumises aux dispositions de l’article 8 du Code général des impôts (sociétés dont les bénéfices sont soumis à l’impôt sur le revenu, entre les mains des associés) et les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés.
En effet, le bénéfice généré par la société d’exercice est distinct des revenus perçus et distribués au professionnel, ce dernier pouvant simplement décider de ne pas se rémunérer et de ne pas se verser de dividendes.
Ainsi, et selon la lettre de l’article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale, l’assiette des cotisations ne peut être constituée, dans les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, que des bénéfices distribués au travailleur indépendant.
Les bénéfices de la SEL ne constituent donc pas à proprement parler le produit de l’activité professionnelle de ses associés.
Les dividendes perçus par une société SPFPL sont à intégrer dans l’assiette des cotisations sociales du professionnel en exercice
Poursuivant son raisonnement, la Cour de cassation émet à notre sens une deuxième affirmation contestable, en indiquant clairement que le fait que les dividendes aient été perçus par une SPFPL était sans incidence.
La Cour de cassation affirme donc que, ni la personnalité morale des SPFPL, ni leur régime fiscal, ne font obstacle à l’assujettissement de ces dividendes aux cotisations sociales à la charge du professionnel libéral.
Or, l’article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale rappelle lui clairement que seuls les revenus « perçus » par le travailleur indépendant peuvent être intégrés à l’assiette des cotisations sociales.
En l’espèce, la SFPFPL est dotée de la personnalité morale et le praticien n’a personnellement perçu aucune somme, mais se trouve tout de même soumis à titre personnel au paiement de cotisations sociales.
Les dividendes perçus par la société SPFPL sont intégralement intégrés dans l’assiette des cotisations sociales
Enfin, la Cour de cassation rejette en bloc le pourvoi et ne fait pas mention d’un éventuel abattement égal à 10% du montant du capital social, des primes d’émission et des sommes laissées en compte courant dans la société d’exercice.
C’est donc l’intégralité des dividendes perçus par la SPFPL qui se trouve soumise à cotisations sociales. Cette prise de position soumet donc le professionnel libéral à une situation bien pire que s’il n’avait pas constitué de SPFPL et avait perçu directement les dividendes !
En conséquence, cette interprétation va à l’encontre de la lettre et de l’esprit du texte et ne manque pas de poser un certain nombre de difficultés pratiques.
Au-delà, cette décision vient remettre en cause l’intégralité des schémas reposant sur la constitution d’une SPFPL, chaque professionnel libéral s’exposant à des rappels de cotisations particulièrement importants.
Quel régime social pour les dividendes perçus par les SPFPL depuis l’arrêt du 19 octobre 2023 ?
A la lecture de la décision rendue, nombre de praticiens ont estimé que cet arrêt n’était qu’une décision d’espèce, rendue de manière opportune afin de sanctionner le comportement abusif d’un praticien ayant mis en place un stratagème fiscal et social lui permettant d’échapper aux cotisations sociales.
Or, la mention de cet arrêt au Bulletin montre le souhait de la Cour de cassation de lui faire revêtir une importance particulière qui ne devrait pas se limiter à une décision d’espèce.
À cet égard, il était permis de s’interroger sur le véritable impact de cette décision sur les dividendes perçus par des sociétés holdings, et non uniquement les SPFPL. En effet, cette décision était rendue au visa de l’article L131-6 du Code de la Sécurité sociale, applicable à l’ensemble des travailleurs non-salariés non agricoles.
À la suite de diverses contestations émises par divers organismes représentant les professionnels libéraux, le gouvernement a fait le choix de modifier les dispositions qu’il prévoyait d’intégrer à la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, en retouchant les dispositions des articles L131-4 à L131-6 du Code de la Sécurité sociale.
Cependant, l’amendement à la base de cette réforme n’était pas motivé par l’arrêt précité et ne s’appliquera en tout état de cause qu’à compter de 2026, afin de permettre une mise à jour des taux de cotisations par décret.
La lecture du nouveau texte permet toutefois de confirmer que les dividendes perçus par des SPFPL n’entrent pas dans l’assiette des cotisations sociales.
La réforme opérée relève donc en pratique du statu quo et n’a, à notre sens, pas d’impact sur la jurisprudence précitée, qui pourrait parfaitement être maintenue en l’état.
Seule une circulaire spécifique ou un revirement de jurisprudence permettraient donc en l’état de mettre fin à l’incertitude pesant sur les dividendes versés au profit des SPFPL.
Dans cette attente, la plus grande prudence reste donc hélas de mise.
Aller plus loin
Dividendes versés à une SPFPL et cotisations sociales, la Cour de cassation sème le trouble
Publié le 02 février 2024