La réforme de l’abus de droit fiscal, dans l’attente de nouvelles précisions…

Alors que la constance et la transparence de la justice était un des arguments de campagne du candidat Macron, une nouvelle réforme, passée une fois de plus inaperçue, vient de nouveau apporter son lot d’insécurité juridique.
Bien que la politique de soutien à l’investissement en faveur des entreprises ait apporté un certain nombre d’évolution, tout semble aujourd’hui gâché par la réforme de l’abus de droit.
En effet, par la simple modification d’un mot, l’ensemble du système actuel (qui n’était pas d’une lisibilité à toute épreuve) vient d’être remis en question.
Ainsi, les députés viennent de consacrer le « mini-abus de droit » pour les montages poursuivant un but principalement fiscal.
Afin d’obtenir une vision relativement complète de l’impact potentiel de cette réforme, il convient dans un premier temps d’esquisser les contours de la notion d’abus de droit fiscal, pour ensuite tenter d’analyser l’impact de la réforme intervenue.
REFORME DE L’ABUS DE DROIT, LE GRAND BAZARD FISCAL CONTINUE
Alors que la constance et la transparence de la justice était un des arguments de campagne du candidat Macron, une nouvelle réforme, passée une fois de plus inaperçue, vient de nouveau apporter son lot d’insécurité juridique.
Bien que la politique de soutien à l’investissement en faveur des entreprises ait apporté un certain nombre d’évolution, tout semble aujourd’hui gâché par la réforme de l’abus de droit.
En effet, par la simple modification d’un mot, l’ensemble du système actuel (qui n’était pas d’une lisibilité à toute épreuve) vient d’être remis en question.
Ainsi, les députés viennent de consacrer le « mini-abus de droit » pour les montages poursuivant un but principalement fiscal.
Afin d’obtenir une vision relativement complète de l’impact potentiel de cette réforme, il convient dans un premier temps d’esquisser les contours de la notion d’abus de droit fiscal, pour ensuite tenter d’analyser l’impact de la réforme intervenue.
A. L’ABUS DE DROIT EN FISCALITE, UNE NOTION AUX CONTOURS INCERTAINS
Les critères de l’abus de Droit
Il convient dans un premier temps de rappeler que la notion d’abus de droit s’inscrit dans une politique générale visant à interdire certains montages.
A cet égard, de nombreux systèmes « anti-abus » spécifiques existent d’ores et déjà, pour des opérations particulières (prix de transfert, sociétés étrangères, régime mère-fille, etc.).
Notion chère aux yeux de l’Administration fiscale, la notion « d’abus de droit » est à ce jour définie par l’Article L64 du Livre des procédures fiscales :
« Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. […] »
Ainsi, l’abus de droit est caractérisé lorsque l’opération réalisée est exclusivement motivée par un intérêt fiscal.
Cette notion, reposant sur le principe général de fraude à la loi, a été réformée par la loi de finances rectificative pour 2008 et a toujours fait l’objet de vifs débats quant à son utilité et ses contours.
En tout état de cause, cette notion reste utile pour les finances publiques, le montant des droits redressés depuis 2013 sur ce fondement n’étant pas négligeables :
Années | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 |
Droits redressés (en million d’euros) | 255 | 262 | 740 | 113 | 171 |
(source : rapport N° 1302 sur l’examen du projet de loi de finances)
L’abus de droit, une notion protéiforme
La principale problématique de l’abus de Droit en matière fiscale, et des textes législatifs en général, reste son manque de cohérence.
Alors que les textes relatifs aux clauses « anti-abus » posent la condition d’un « montage non-authentique », cette notion n’est pas reprise dans la définition de l’abus de droit en matière fiscale, qui repose sur la notion d’acte ayant un caractère abusif.
Ce manque de cohérence ne permet ainsi pas de garantir la sécurité juridique des contribuables, la même notion d’abus de droit pouvant être interprétée de différentes manières.
L’œuvre du Comité de l’abus de droit fiscal
Afin de pallier la problématique de la définition de l’abus de droit, au sens uniquement de l’article L64 du LPF, le Comité de l’abus de droit fiscal possède une importante fonction.
C’est ainsi que le Comité édite et met à jour les montages qui lui semblent reposer sur un motif exclusivement (et demain principalement) fiscal.
Les avis du Comité, toujours instructifs, sont ainsi publiés régulièrement afin de permettre aux contribuables, et aux professionnels, d’obtenir des lignes directrices en la matière.
Ces avis reposent cependant sur des situations de fait particulières, et n’ont pas vocation à s’appliquer de manière générale à toute situation n’étant pas similaire.
B. LA CREATION DU MINI-ABUS DE DROIT FISCAL, NOUVEAU MONSTRE JURIDIQUE
La loi de Finances pour 2019 est venue renforcer les pouvoirs de l’Administration, en transposant les dispositions de la Directive ATAD en Droit français, et en élargissant le périmètre de l’abus de Droit.
Seul l’élargissement du périmètre de l’abus de Droit sera analysé par le présent article, la transposition de la Directive ATAD étant reprise par un article spécifique.
Le mini-abus de Droit : un objectif principalement fiscal
C’est par l’article 109 de la (très) riche loi de finances pour 2019 que la réforme est intervenue :
« I. – Le IV de la section IV du chapitre Ier du titre II du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° L’article L. 64 A est ainsi rétabli :
« Art. L. 64 A. – Afin d’en restituer le véritable caractère et sous réserve de l’application de l’article 205 A du code général des impôts, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. […] »
La réforme vient donc ajouter une nouvelle procédure, permettant à l’Administration de remettre en cause les opérations reposant sur un motif « principalement » fiscal.
Ainsi, la procédure d’abus de droit se voit donc élargie et sera donc constituée de « deux étages » :
- Le premier étage vise les montages reposant sur une motivation principalement fiscale ;
- Le deuxième étage consiste en la procédure d’abus de droit actuel, reposant sur une motivation exclusivement fiscale.
Ici encore, la définition de l’objectif principalement fiscal fera l’objet de vives polémiques, dont les fiscalistes restent friands.
L’Administration aura donc le choix entre deux procédures, en fonction de sa propre analyse des faits, ce qui posera de nombreuses difficultés pratiques.
Mini-abus de droit : mini-sanction ?
Afin de différencier les mini-abuseurs des abuseurs « classiques », il est prévu que le « mini-abus » de droit ne permettrait pas à l’Administration d’appliquer les majorations prévues à l’article 1729 du Code général des impôts.
Ainsi, le mini-abuseur ne pourrait se voir condamner au paiement des majorations de 40% ou de 80% en fonction du manquement constaté.
Nul doute que la qualification du caractère principalement ou exclusivement fiscal du montage contesté aura donc des répercussions particulièrement importantes.
Ce sera encore au Comité de l’abus de droit de sonder la psychologie des contribuables, afin de déterminer quel était leur but précis au moment de la réalisation d’une opération.
La mise à jour de la procédure de rescrit afin de « sécuriser » le contribuable
Afin de permettre au contribuable d’obtenir un avis opposable à l’Administration, préalablement à sa mise en place, la procédure de rescrit fiscal est élargie.
Un contribuable se posant la question de savoir si le montage envisagé pourrait être requalifié sur le fondement de l’article L64 A du CGI pourra donc directement poser la question à l’Administration, qui sera tenue de lui répondre (ou non) dans un délai de … 6 mois.
En l’absence de réponse, l’Administration sera réputée avoir donné son accord tacite.
En pratique, cette procédure de rescrit reste donc inutilisable, très rare étant les montages pouvant être repoussés de 6 mois sans évolution…
L’application de la procédure du « mini-abus » de droit fiscal repoussée au 1er janvier 2021
Afin de permettre une réflexion globale sur les contours de ce nouveau régime et s’y préparer, il est prévu que le nouvel article L. 64 A du LPF s’applique aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020.
Nul doute que l’Etat, les professionnels et les contribuables sauront s’y préparer en amont… ou pas (jurisprudence RGPD).
La transposition de la Directive ATAD en droit français par la Loi de finances pour 2019
L’Europe et la France tentent donc de se doter, depuis plusieurs années, d’un arsenal leur permettant de lutter contre l’« optimisation » fiscale.
Ce renforcement s’est poursuivi de manière importante au cours de l’année 2018, notamment par :
- la récente Directive n°2018/822, renforçant notamment les échanges automatiques et obligatoires d’informations fiscales entre Etats européens, a vu le jour le 25 mai 2018 ;
- L’abrogation du « verrou de Bercy » par la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 .
En complément de ces dispositions, la Loi de finances pour 2019 est venue transposer la Directive européenne ATAD du 12 juillet 2016, intégrant notamment les clauses dites « anti-abus » applicables aux montages « non-authentiques » des sociétés.
Afin de transposer cette Directive, l’article 108 de la Loi de finances ajoute l’article 205 A du Code général des impôts, reprenant mot à mot le texte de la Directive :
« Pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés, il n’est pas tenu compte d’un montage ou d’une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable, ne sont pas authentiques compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents. […] »
Cette réforme, applicable à compter du 1er janvier 2019, porte donc exclusivement sur l’impôt sur les sociétés, et vient se cumuler aux mesures d’ores et déjà présentes et plus générales.
La clause anti-abus spécifique au régime spécial des fusions, prévue à l’article 210-A du Code général des impôts, est quant à elle maintenue.
L’autre réforme, l’Administration supporte (presque) toujours la charge de la preuve de l’abus de droit fiscal
En complément de la création du « mini-abus de droit », une autre réforme d’importance a été apportée par l’article 202 de la loi de finances pour 2019, en supprimant l’alinéa 3 de l’Article L64 du Livre des procédures fiscales.
Pour rappel, ce paragraphe prévoyait qui avait la charge de la preuve de la présence ou non d’un abus de droit.
Ainsi, en cas de mise en œuvre de la procédure d’abus de droit, le contribuable a la possibilité de saisir le Comité de l’abus de droit fiscal (alinéa 2 de l’article L64 du LPF).
Ainsi, la charge de la preuve reposait :
- Sur l’Administration fiscale dans l’hypothèse où le Comité émettait un avis défavorable à la rectification ;
- Sur le contribuable lui-même si le Comité émettait un avis favorable à la rectification.
L’article 202 de la Loi de finances a pour mérite de simplifier cette procédure, en rappelant que la charge de la preuve repose toujours sur l’Administration, indépendamment de la position du Comité de l’abus de droit fiscal.
Toutefois, il convient de rappeler les dispositions de l’Article L 192 du Livre des procédures fiscales. Cet article dispose en effet que la charge de la preuve repose sur le contribuable dans l’hypothèse où :
- « lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l’imposition a été établie conformément à l’avis de la commission ou du comité » ;
- « à défaut de comptabilité ou de pièces ».
Cette réforme est applicable à compter du 1er janvier 2019.
Aller plus loin
La réforme de l’abus de droit fiscal, dans l’attente de nouvelles précisions…
Publié le 04 septembre 2023